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Les espèces invasives, un problème d'actualité

Introduites par l'homme, les espèces invasives traversent les continents et s'adaptent si bien aux nouvelles conditions environnementales qu'elles prolifèrent et menacent notre biodiversité locale. Voir descriptif détaillé

Les espèces invasives, un problème d'actualité

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28 février 2015 par : Laetitia GUERE

Introduction

Classée parmi les « 100 espèces exotiques envahissantes les plus néfastes au monde », provoquant « une catastrophe pour la fertilité des terres » comparable à de « terribles épidémies comme celle de la peste noire »... Les phrases choc ne manquent pas selon Jean-Lou Justine, professeur du Muséum National d’Histoire Naturelle, quand il s’agit de décrire la nouvelle espèce de ver plat carnivore, arrivée début mars 2014 en France !
Mais comment une espèce anodine, qui passe inaperçue, peut-elle être si néfaste pour notre jardin, notre pays, voire même notre continent ?

Point vocabulaire

Une espèce qui est anciennement originaire d’un habitat donné et qui a évolué au sein d’une aire biogéographique précise est désignée par le terme d’espèce indigène ou autochtone.

En revanche, une espèce qui, suite à l’intervention humaine, franchit d’importantes frontières biogéographiques comme les océans ou les chaînes de montagne et s’installe dans la nouvelle région, en un laps de temps très court, sera qualifiée d’espèce introduite, non indigène, allochtone ou encore exotique. Plus simplement, néophyte pour une plante et néozoaire pour un animal.
Parmi ces espèces non indigènes, certaines proliféreront et induiront des effets négatifs sur la biodiversité indigène. On parlera alors d’espèces invasives.

D’où viennent-elles ?

Tout a commencé par la découverte du Nouveau-Monde avec Christophe Colomb, en 1492 (Nentwig, 2012). Depuis cette époque, la circulation des biens et des personnes ne fait qu’augmenter de manière continue, tout comme le nombre d’espèces invasives. Comment ?

L’introduction d’espèces invasives par l’homme peut être intentionnelle, dans le cas :
- des plantes exotiques d’ornementation telle que la jussie dans les canaux pour ses jolies fleurs d’un jaune d’or,
- des lâchers de gibier avec l’exceptionnelle prolifération du lapin de garenne,
- des animaux de compagnie relâchés dans la nature, comme la tortue de Floride, etc.

Mais le plus souvent, l’introduction reste non-intentionnelle. Les plantes et animaux s’invitent, incognito, comme passagers clandestins :
- dans les containers des bateaux, sous forme d’œuf, cocon, pupe. Il s’agit notamment d’espèces tropicales, d’araignées, coléoptères, blattes et fourmis (Kegel, 1999),
- par les grands axes de transports routiers, via les pneus des voitures qui récoltent de nombreuses graines et les sèment en cours de route,
- par les vols intercontinentaux pour des moustiques tropicaux. Par exemple, les espèces du genre Anopheles qui transmettent la malaria à l’homme (Kowarik & Von der Lippe, 2007).


Carte de répartition du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée en France
Source : Thévenot, J., site de l’INPN (http://inpn.mnhn.fr)

* Pour illustrer ce phénomène, nous observerons la situation d’un ver plat (placé sous astérisque) : le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée (Platydemus manokwari).

Après le Plathelminthe de Nouvelle-Zélande (Arthurdendyus triangulatus), déjà connu dans le nord des Iles Britanniques, dont l’Ecosse et l’Irlande du Nord, c’est au tour du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée (Platydemus manokwari) de faire sa première apparition en Europe, en commençant par la France ! Huit individus ont été découverts dans une serre du Jardin des Plantes à Caen fin octobre 2013. Mais ce n’est qu’après une analyse moléculaire début mars 2014, qu’une équipe internationale de chercheurs de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité au Muséum National d’Histoire Naturelle commence à s’inquiéter.

Parfois introduite volontairement comme agent de lutte biologique dans les îles pour contrôler les populations d’escargot africain géant (Achatina fulica), cette espèce est déjà invasive dans quinze territoires de la région pacifique (Justine et al, 2014).

Carte de répartition mondiale du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée
Source : Thévenot, J., site de l’INPN (http://inpn.mnhn.fr)

Mais en France ce n’est pas le cas : selon Jean-Lou Justine « ce genre de parasite va de continent et continent via les transports de plantes en pot. Ce doit être le cas pour Caen, mais il n’a pas été possible de trouver précisément comment. » (Nothias, 2014).

En effet, le commerce des plantes en pots représente aussi un bon moyen de transport pour les organismes se cachant dans la terre, entre les racines. Des communautés entières de vers de terre, nématodes, collemboles et myriapodes peuvent être importées de cette façon (Kenis et al., 2007).

Morphologie du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée, vue dorsale
Source : Justine et al, 2014.
Morphologie du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée, vue ventrale
Source : Justine et al, 2014.

Pourquoi nous envahissent-elles ?

N’oublions pas que la plupart des nouvelles espèces non indigènes ne réussiront pas à s’adapter à un autre contexte environnemental et ne deviendront pas des espèces invasives. Par contre, quelques-unes se maintiendront et coloniseront en priorité des habitats perturbés par les activités humaines, comme les milieux agricoles et urbains.

L’explication la plus évidente au maintien d’une espèce invasive dans un nouveau milieu est l’absence de prédateurs, de compétiteurs pour les ressources naturelles ou de parasites dans la zone envahie. En effet, sans ses ennemis d’origine, l’espèce invasive va pouvoir investir davantage d’énergie à sa croissance et à sa reproduction, qu’à sa défense (Hufbauer & Torchin, 2007).


* Le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée n’a jusqu’ici aucun prédateur naturel connu en Europe ! En effet, il semblerait que les oiseaux ne les trouvent pas à leur goût à cause d’une substance chimique appelée la tétrodoxine (Justine et al, 2014).

De plus, originaire d’un pays tropical, dans les régions montagneuses à 3000 m d’altitude, le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée peut survivre à des températures proches de 0°C (Justine et al, 2014). Il est donc fortement probable que cette espèce s’adapte au climat plus frais de l’Europe et se répande depuis la France jusqu’au reste du continent.


Quelles conséquences pour la biodiversité indigène ?

Les espèces indigènes ont progressivement évolué au cours des temps géologiques et se sont lentement adaptées à un environnement donné. Or, quand arrive soudainement une espèce provenant d’une région biogéographique éloignée sur leur territoire, ces dernières n’ont pas le temps de s’adapter à l’intrus et peuvent alors se raréfier, voire même disparaître.

Si l’espèce invasive entre en compétition pour les ressources avec les espèces indigènes, celles-ci voient leur quantité d’espace, nutriment, lumière, etc. fortement diminuer. En conséquence, le nombre d’individus des populations indigènes risque de diminuer et les espèces autochtones de disparaître localement ou définitivement, si leur aire de répartition globale est restreinte.


Prédation du Plathelminthe de Nouvelle-Guinée sur un escargot indigène
Source : Justine et al, 2014.

* Le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée consomme principalement des escargots terrestres. Cependant, la France accueille plusieurs espèces d’escargots endémiques, dont certaines figurent sur la Liste Rouge de l’UICN en tant qu’« espèces en danger ». Il devient donc urgent de mettre en place des mesures de gestion contre cette espèce invasive !

Le maire de Caen nous affirme notamment que la serre du jardin des plantes fait aujourd’hui l’objet de « mesures de prévention pour éviter toute propagation ».

En outre, tout comme son cousin le Plathelminthe de Nouvelle-Zélande, son régime reste très diversifié. Il peut aussi se nourrir d’autres espèces tels que les vers de terre et autres invertébrés mous. Pour se faire, il s’enroule autour de sa proie et la couvre d’un mucus toxique avant de l’avaler.

Ainsi, d’après les chercheurs, « l’invasion d’un site par Platydemus manokwari peut avoir un impact direct et indirect sur les espèces terrestres et arboricoles indigènes et introduites et, dans une moindre mesure, sur la faune semi-aquatique d’invertébrés à mouvements lents ».


Que faire pour protéger une biodiversité fragilisée ?

Le principe de prévention, proclamé au Sommet de Rio en 1992, exige un contrôle du transport d’animaux, de biens et de marchandises au niveau des frontières, selon la liste des espèces de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).
En parallèle, il devient important de sensibiliser les citoyens à la problématique des espèces introduites. A cette fin, des bases de données répertorient les espèces les plus nuisibles sur nos territoires :
- Global Invasive Species Database au niveau international
- DAISIE en Europe


* Le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée est classé dans la liste des « 100 espèces envahissantes les plus néfastes au monde ». Il se pourrait qu’il fasse aussi l’objet de la Norme OEPP (European Alien Species Information Network) sur les exigences d’importation et de contrôle, d’exclusion et de traitement de pépinière.


Une fois l’espèce invasive installée sur un nouveau territoire, le principe de prévention n’est plus suffisant. Il devient alors important de proposer des mesures de gestion qui permettraient de surveiller la prolifération de l’espèce, de réduire le nombre d’individus ou d’éradiquer les populations au stade le plus précoce possible.


* C’est pourquoi, comme le souligne Jean-Lou Justine concernant le Plathelminthe de Nouvelle-Guinée, « il faut absolument l’éradiquer avant de perdre le contrôle et qu’il colonise plus de territoires. Quitte à prendre des mesures fortes. » (Nothias, 2014).

Il faudra donc trouver au plus vite des moyens de lutte contre les vers plats, puisque aujourd’hui, il n’existe que très peu de possibilités pour détruire ces envahisseurs :
- le contrôle chimique par l’insecticide gamma-HCH est trop généraliste et risquerait d’affecter d’autres espèces. En effet, pour freiner la dissémination d’une espèce invasive, on utilise souvent des agents de lutte chimique. Or, les pesticides sont peu sélectifs et au lieu d’éradiquer seulement l’espèce invasive ciblée, les produits tuent aussi de nombreuses autres espèces présentes dans la zone d’application (Edwards et al., 2008).
- le traitement thermique ou à l’eau chaude des plantes en container pourrait néanmoins être envisagé (Justine et al, 2014).

En attendant, les gestionnaires s’occupent de la première étape nécessaire à toutes avancées scientifiques : la cartographie de la répartition de l’espèce afin de connaître l’ampleur de l’invasion et de savoir si elle n’est bien limitée qu’à la serre de Caen.

Quel rôle pouvons nous jouer ?


* Vous pouvez aider les chercheurs en fouillant votre jardin ou vos plantes en pot. Si vous y trouvez un étrange ver plat, n’hésitez pas à poster vos découvertes et photos sur le site http:////bit.ly/Plathelminthe.

Références bibliographiques

- Devos, S. (2014). L’invasion des vers tueurs. Science et Vie Junior, 294, pp. 58-59.

- Edwards, C. A., Arancon, N. Q., Vasko-Bebbett, M., Little, B., Askar, A. (2008). The relative toxicity of metaldehyde and iron phosphate-based molluscicides to earthworms. Crop Protection 28, pp. 289-294.

- Hufbauer, R. A., Torchin, M. E. (2007). Integrating ecological and evolutionary theory of biological invasions. Berlin, Allemagne : Springer, Biological Invasions, pp.79-96.

- Kegel, B. (1999). Die Ameise als Tramp. Zurick, Suisse : Ammann.

- Kenis, M., Rabitsch, W., Auger-Rozenberg, M. A., Roques, A. (2007). How alien species inventories and interception data help us prevent insect invasions ? Bull. Entomol. Res 97, pp. 489-502.

- Kowarik, I., Von der Lippe, M. (2007). Pathways in plant invasions. Berlin, Allemagne : Springer, Biological Invasions, pp.29-47.

- Justine, J., Winsor, L., Gey, D., Gros, P., Thévenot, J. (2014). The invasive New Guinea flatworm Platydemus manokwari in France, the first record for Europe : time for action is now [Version électronique]. PeerJ2:e297, pp. 27.
https://peerj.com/articles/297

- Nentwig, W. (2012). Espèces invasives : Plantes, animaux et micro-organismes. Lausanne, Suisse : Presses polytechniques et universitaires romandes, pp. 144.

- Nothias, J. L. (2014, 03, 05). Des vers carnivores invasifs s’invitent en France [Version électronique]. Le figaro.
http://www.lefigaro.fr/sciences/201...

Liens internet pour aller plus loin

- http:////bit.ly/Plathelminthe

- http://inpn.mnhn.fr/actualites/lire...

- http://issg.org/pdf/publications/wo...

- http://www.mnhn.fr/fr/recherche-exp...

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